Sūtra II.1
Chapitre 2 - sadhanapādah
Sūtra II.1
Chapitre 2 - sadhanapādah
« Le yoga de l’action, c’est l’action du yoga, mais surtout le yoga dans l’action. » kriyā yoga, traduit communément comme « yoga de l’action » est un processus animé par trois attitudes : la discipline, l’écoute de ce qui est au profond de soi et la confiance en la Vie. Loin d’être un simple savoir faire, le kriyā yoga est une attitude, un engagement, une mise en jeu de soi sans soumission, pour sortir des schémas habituels et trouver une liberté de choix dans l’action en prenant appui sur trois supports, trois points de vue, en interaction. Une aventure vers l’inconnu, une invitation à sortir d’un regard étroit sur nous-même et sur la vie, un chemin vers la liberté à parcourir avec le corps, la tête et le cœur dans une mise en jeu de soi.
Texte sanskrit et traduction
YS II.1
tapaḥ - svādhyāya - īśvarapraṇidhānāni kriyā-yogaḥ
discipline réflexion sur soi abandon à īśvara yoga de l’action
La discipline, la réflexion sur soi (et) l’abandon à īśvara (constituent) le yoga de l’action.
tapas svādhyāya īśvara-pranidhāna kriyā
tapaḥ - svādhyāya - īśvarapraṇidhānāni (mot composé au nominatif pluriel)
tapas : discipline, chaleur, ardeur, pratique
√tap : faire chauffer, cuisiner, brûler
sva-adhyāya : aller proche de soi, réflexion sur soi
sva : le soi, soi-même
adhyāya : aller proche, aller à l’intérieur de, lecture
√i : aller, venir (le i devient y)
adhi° : sur
ā° : proche, jusqu’à, aller ou retour
īśvara-pranidhāna : abandon à īśvara, s’incliner devant īśvara
īśvara : maître, dieu suprême, la Vie
√īs : être maître, régner, pouvoir + √vr : choisir
pranidhāna : abandon, inclinaison, méditation profonde
pra-ni√dhā : poser, mettre devant, s’approcher, considérer
pra° : vers l’avant, s’impliquer
ni° : vers le bas, dedans
kriyā-yogaḥ (mot composé au nominatif singulier)
kriyā-yoga : yoga de l’action
kriyā : activité, mettre en route un processus qui nettoie et transforme
√kr : faire, agir
yoga : fait de lier, union
√yuj : relier, unir, joindre, méditer
« tapas, svādhyāya (et) īśvara-pranidhāna (constituent) kriyā-yoga »
Lire le sūtra
Sortir d’une relation fusionnelle avec nous-même, ouvrir cette relation... Le kriyā-yoga propose trois supports extérieurs pour investiguer, découvrir et entrer dans un territoire inconnu : tapas, svādhyāya et īśvarapraṇidhānā.
tapas
Le premier item évoque la qualité de l’action.
Pratiquer tapas, c’est agir non pour faire, mais pour apprendre à agir autrement, sans être enfermé(e), et retrouver une palette de choix dans l’action.
Me donner à la pratique, rester avec, et me laisser cuisiner (tap), ébranler, confronter, transformer par elle.
svādhyāya
Le deuxième support interroge la connaissance de soi.
La pratique me transforme et il m’est possible d’aller plus proche de moi, non pour me livrer à une introspection, mais pour reconnaître ce qui m’habite au plus profond, le mettre au monde, lui donner corps, et voir ce que ça signifie pour moi et pour le monde.
īśvarapraṇidhānā
Le troisième item questionne le sens de la vie.
īśvara est la VIE du monde, porteur de toute relation vivante et libre, à la source de toute connaissance, de tout enseignement.
S’abandonner à īśvara, implique non seulement ne pas s’attacher aux fruits de l’action, ne pas se focaliser sur le résultat, mais aussi, et surtout, avoir confiance en ce qui me dépasse, en ce qui, au-delà des formes de ma vie, est source de Vie.
Il n’est pas nécessaire de courir les trois lièvres à la fois, mais, en suivant un fil, de lui permettre de me conduire vers les deux autres et de nourrir pas à pas ce qui me rend entier(ère) et libre.
Interprétation et commentaire
Aller vers le yoga, par le yoga...
L’action en yoga décrite dans cet aphorisme peut nous mener vers l’état de yoga, soit comment, avec ce que je suis, être avec ce qui est.
kriyā
Le kriyā yoga est un processus de transformation, de réorganisation au niveau du corps, du souffle, du mental, pour, au fur et à mesure, entrer dans un nouveau territoire, corps et âme.
Agir nous met au monde, tisse notre relation avec le monde et c’est la qualité de notre action qui décide si ce tissage nous enferme ou s’il soutient l’état de yoga.
En agissant, on apprend : pratiquer le yoga de l’action, c’est agir pour apprendre et agir autrement...
Agir autrement change notre manière de voir, et cette manière de voir décide, dans un cercle vertueux, d’une autre manière d’agir...
tapas
C’est prendre appui sur une discipline, prendre au sérieux un support extérieur à nous-même, sans soumission, en restant libre par rapport à lui.
Une telle discipline, en s’y frottant, en la vivant vraiment, nous « cuisine », nous transforme, clarifie, simplifie les relations confuses à l’œuvre en nous ; on peut alors abandonner les expériences préconçues, les idées reçues.
Si la pratique s’adresse à l’innocence et à la liberté intactes en nous, tapas nous ouvre la voie vers l’inconnu de nous-même, au-delà d’un saṁyoga déjà acquis.
svādhyāya
C’est, lors d’un voyage solitaire, prendre un support intérieur au sérieux, en allant proche de soi, à l’écoute de ce qui émerge de la source de Vie en soi au plus intime : s’interroger sur le sens de sa vie, sur son désir profond, au-delà de toute analyse, de toute explication ...
Il ne s’agit pas d’explorer tous nos jardins secrets, mais d’être à l’écoute de ce que nous avons envie de faire et répondre : agir, mettre au monde ce que l’on découvre en soi, faire de petits pas et voir ce que cela veut dire pour soi et pour le monde.
C’est une relation de liberté avec nous-même, une écoute prête à découvrir ce qui, en nous, est porteur du vivant, au-delà de tout saṁyoga et peut nous révéler à nous-même, nous porter de l’intérieur.
Quelque chose de mystérieux vient à notre aide.
īśvarapraṇidhānā
C’est avoir confiance en la Vie qui porte toute relation vivante.
C’est une attitude qui permet de regarder ma vie en lien avec le sens de la Vie, du point de vue de l’éternité.
Sortir d’une préoccupation de moi-même, n’étant plus coupé(e) du monde, sortant de mon saṁyoga, j’ai le recul nécessaire pour vivre les deux premiers aspects du yoga de l’action et voir la Vie plus large.
« Laisser pénétrer ma forteresse fermée, me laisser fouiller par le monde et par ce qui est profond en moi : les deux font une paire et se clarifient mutuellement. »
« Se plier en face de la Vie qui dépasse la vie en moi, c’est faire confiance en ce qui est porteur de toute relation vivante, qui permet que ma vie se déroule. C’est une confiance en ce qui peut porter et donner sens à la relation entre ce qui est profond en moi et ce que je rencontre dans ma vie à l’extérieur. »
« īśvarapraṇidhānā est une acceptation profonde de mon humanité, c’est une reconnaissance de ce qui est en moi. Ce n’est pas être seulement conscient que quelque chose me dépasse, mais c’est rendre ma vie à la Vie. »
- Titre: Sūtra II.1
Date : 01 mai 2023